La Couleur du lait

Nell Leyshon

10-18

  • Conseillé par
    13 octobre 2014

    La douleur d'une vie

    _« ceci est mon livre et je l’écris de ma propre main »_.

    Ainsi débute ce court texte de la romancière britannique Nell Leyshon, traduite pour la première fois en français. « La couleur du lait » est la confession de la jeune Mary, qui _« en l’an de grâce mille huit cent trente et un »_, vient d’avoir quinze ans. Et Mary raconte.

    _« mon père habitait dans une ferme avec ses quatre filles et de ces quatre filles j’étais la dernière »_

    Dans la campagne anglaise du Dorset, Mary grandit donc dans une famille de paysans pauvres sous les ordres d’un père brutal, aux côtés de ses sœurs et de sa mère mutique. Il y a aussi le grand-père, infirme et âgé, relégué dans le cellier, qui s’ennuie. Dès qu’elle peut, Mary le rejoint, car ces deux là s’adorent et partagent un même sens de la répartie qui agace le reste de la famille, surtout le père qui juge que Mary doit se contenter de travailler et obéir, et tenir sa langue.

    Car pour le père, les filles sont avant tout des filles de ferme et Mary, légèrement handicapée d’une jambe, ne lui donne pas satisfaction. Aussi, lorsque le pasteur du village cherche une nouvelle servante, le père lui envoie Mary, puisqu’au moins il n’aura plus à la nourrir.

    Mary découvre donc la maison du pasteur, où en effet on est bien nourri, et où il y a des livres, que la petite analphabète observe avec envie. Cependant, chez le pasteur comme chez le père, elle doit avant tout obéir.

    Les éléments du drame sont en place. La ferme, malgré sa dureté, est le seul environnement que Mary connaisse, et à la ferme l’attend son grand-père qui lui manque. Dans la maison bourgeoise, la famille du pasteur et le bel ordonnement des habitudes vont être bousculés par l’arrivée de la petite fille. Autour d’eux, la campagne anglaise, magnifiquement décrite par Nell Leyshon. S’écoulent alors quatre saisons, une année de la vie de Mary, qu’elle nous raconte d’abord à travers l’immuable déroulement des tâches paysannes : les foins, les confitures, le ramassage des feuilles mortes. Quelque chose d’inéluctable est en route, on s’en doute dès les premières pages, pourtant tout nous surprend dans l’enchaînement des événements, qui nous obligent à nous replacer dans une logique du 19ème siècle, quand les pères et les pasteurs sont des personnages incontestés.

    Mary est intelligente, maligne et très lucide sur le sort qui lui est réservé. Elle tente d’exister, ose dire à chacun ce qu’elle pense, mais ne peut lutter contre un environnement qui la broie.

    Nell Lynshon mène ce récit de main de maître, se glissant dans la voix de la petite Mary, dont elle adopte la grammaire hésitante, les formules à l’emporte pièce et les métaphores rurales. Le lecteur a réellement la sensation de lire un manuscrit surgi comme par magie du fond d’une campagne anglaise disparue. On se souviendra longtemps de cette voix pleine de fierté naïve qui nous dit : _« je m’appelle mary et j’ai appris à écrire mon nom. m.a.r.y. ce sont les lettres de mon nom. je vais vous raconter les choses telles qu’elles sont arrivées mais je ne veux pas me précipiter comme les génisses au portail sinon je vais m’empiéger et de toute manière vous préférez sûrement que je commence par là que les gens commencent en général »_.

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