Un léger déplacement

Marie Sizun

Arléa

  • Conseillé par
    28 janvier 2012

    Un léger déplacement - Marie Sizun

    Depuis 2005, Marie Sizun poursuit allègrement sa carrière d’écrivain à la plus grande satisfaction de son fidèle lectorat. « Un léger déplacement » est son sixième livre, un roman très dense, publié le 5 janvier 2012 chez Arléa.

    Novembre 2000. C’est au cœur de la nuit. Dans l’avion. Ellen, l’héroïne, reprend connaissance après un étrange malaise, une sorte de vertige ou tout simplement « un léger déplacement dans un espace intérieur inconnu, … sorte de « petite mort » très douce étonnamment paisible ». Personne n’a rien vu. Elle s’est réveillée dans un sursaut, « le cœur battant la chamade ».

    Dans une heure, elle sera à Paris, dans un Paris qu’elle a quitté, il y a trente-cinq ans, au temps où elle s’appelait Hélène. Mme Zollmacher, la deuxième femme de son père, est morte et l’appartement sis rue du Cherche-Midi lui revient de droit : régularisation de son héritage. Son mari, un Américain, Norman, est resté à Manhattan pour tenir leur petite librairie française. Chez elle, depuis son mariage, c’est New York. « Paris, c’est l’autrefois » : cet appartement à l’abandon, c’est tout ce qui lui reste de ses parents, de son enfance et même de sa jeunesse, un ensemble de souvenirs plutôt tristes.

    En ce matin de novembre, l’avion atterrit. Ellen est très émue, « des larmes lui montent aux yeux, des larmes de joie… ». Elle est en France ! Elle se réjouit de reprendre le métro parisien, de retrouver « son inoubliable parfum de poussière et de mélancolie, la volupté qu’elle éprouvait à humer, enfant, les bouffées d’air chaud »… Elle semble vivre hors du temps et une foule de souvenirs l’assaillent : elle retrouve « sa mémoire sentimentale de Paris ». Joie mystérieuse du retour. Au sortir de la station St Placide, rue de Rennes, c’est un éblouissement : rien n’a vraiment changé. Elle arrive enfin rue du Cherche-Midi : l’appartement est là au deuxième étage d’un vieil immeuble bourgeois plutôt défraîchi… Bruit familier de la porte qui grince, cette fois elle y est. « Chez elle ? Non ! chez la petite Hélène de vingt ans ». Comme l’appartement lui paraît étriqué ! Et voilà le passé qui déferle avec une violence inouïe. Dans la pénombre, « elle éprouve une sensation de dédoublement ». Surgit l’image d’elle, petite fille qui perdait toujours ses clés, réprimandée par Mme Zollmacher… « Une garce, sa belle-mère », peu attirante, cette Ida Zollmacher, avec la vieille senteur âcre, entêtante de ses cigarillos. Le père d’Hélène l’avait épousée après la mort de sa première femme, elle était la comptable du magasin qu’il gérait, elle arrivait avec son fils, Stéphane, « un gros garçon de trois ans »… Le père avait converti le bureau en nursery ; autrefois, il avait été quelqu’un de gai, riant, racontant des histoires, jouant avec sa fille, couvrant sa femme de cadeaux, la première, « la vraie », celle qui était tombée brusquement malade mourant quelques mois plus tard… Il était devenu taciturne, encore tendre dans ses gestes mais silencieux… Son ancienne voisine, Mme Berthon, maintenant âgée de quatre-vingts ans, viendra longuement rendre visite à Ellen et l’aidera à comprendre son passé.
    Soudain, Ellen, saisie par une indéfinissable sensation d’étouffement, éprouve le désir d’aller revoir les rues d’autrefois. Comme avant, « elle aime la tombée de ces soirs de novembre » dans le fracas de la circulation. Elle est attirée par « un îlot magique » où elle reconnaît le café Sèvres-Raspail . A l’horizon de ses pensées, se profile l’image si longtemps occultée de « l’été des commencements » : elle avait dix-huit ans, ils s’étaient rencontrés pour la première fois dans ce café. Elle préparait l’oral du bac. Lui, cinq ans de plus qu’elle, avait terminé ses études. Ivan était très beau, « un drôle de garçon, très grand, qui ne ressemblait à personne ». Amoureux chastes, ils ne « faisaient pas l’amour. Ils s’aimaient, croyait-elle »..
    Tous les souvenirs d’Ellen , « fragiles fantômes du passé », s’imbriquent étrangement. Elle retrouve les images d’un bonheur extraordinaire, avec Ivan, elle se promenait dans Paris, au Louvre, au Musée d’Art moderne ou dans les Galeries de la rue de Seine, avec lui, « la petite fille du Cherche-Midi » découvrait la peinture avec émotion. Rejetant radicalement tout ce qui touchait à sa vie de famille, Hélène vouait à Ivan « un violent amour d’enfant », un amour qui devait « infléchir le cours de sa vie », et dont le souvenir, aujourd’hui, s’impose à elle avec une force étonnante.
    Beaucoup de suspense dans ce beau livre ! Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir la suite.

    « Un léger déplacement » est un roman passionnant, bien écrit et structuré, musical et chargé d’émotion ; le style est fluide, précis et concis. L’action se déroule dans un climat mélancolique : beaucoup de larmes mais « La joie venait toujours après la peine » (Apollinaire cité par Marie Sizun)… L’analyse psychologique des personnages, objective et minutieuse, amène Ellen à ajuster insensiblement, au prix d’un léger déplacement, ses pensées à la réalité…
    Texte très vivant, empreint de lumière, de douceur, de tendresse, d’humanité. Descriptions poétiques : ciels d’été, ciels d’hiver, évocation d’une toile de Monet (Plage normande) au Musée d’Orsay… , ici comme toujours, Marie conjugue, avec art, littérature et peinture… Au cours de sa semaine parisienne, Ellen a pris conscience de l’étrange interférence des souvenirs, ceux de la maison, ceux de son amour pour Ivan :… « les fils des deux histoires se sont croisés, dénoués, révélant une trame qui , jusque-là lui était obscure et dont elle découvre avec le sens, la beauté ».
    Magnifique roman qui se lit d’une traite, où Marie Sizun dépeint avec une justesse remarquable la résurgence du passé lointain et la prégnance d’un premier amour.

    Yvette Bierry, le 06/01/12


  • Conseillé par
    16 janvier 2012

    Après le décès de sa belle-mère, Ellen est contrainte de s’absenter de New-York où elle vit depuis trente-cinq ans. Elle laisse sa librairie et son mari pour aller s’occuper de l’appartement familial à Paris.

    Ellen n’aimait pas sa belle-mère, la seconde femme de son père qu’il avait épousé après la mort de la sienne. Pas plus que Stéphane son fils. En revenant à l’appartement et dans ce quartier du VI ème arrondissement de Paris, les souvenirs refont surface. Peu à peu. Ellen semble avoir tiré un trait sur son enfance et son adolescence allant même jusqu’à américaniser son prénom Hélène. Elle n’était pas revenue à Paris depuis son départ pour New-York sauf pour l’enterrement de son père. Des rues, des boutiques, des objets sont autant d’éléments déclencheurs d’évènements enfouis, confinés par la mémoire. Ellen redevient Hélène ou plutôt les strates des émotions qui la définissent sont explorées. Percées au grand’ jour. Les secrets de famille également et l’envie de rentrer à New-York s’estompe. Elle comprend pourquoi Paris, cette ville qu’elle aime tant, lui manque. La ville est un personnage à part entière. Mais surtout, Hélène se construit. Je n’en dis pas plus !

    J’ai retrouvé avec plaisir l’écriture concise et sensible dans la lignée de La femme de l’allemand, Le père de la petite. Dans ce nouveau roman, les sens sont en éveil comme ceux d’Hélène. Il est question aussi de la guerre d’Algérie, des silences qui l’ont entourée. Seul bémol pour moi, j’ai pressenti la fin.

    Un roman qui a su me toucher ! Le style de Marie Sizun est un vrai plaisir dans cette une histoire où la sensibilité est au rendez-vous !